Nos réponses au questions écrites du Sénat

Le 17 janvier 2024, a été lancé au Sénat une commission d’enquête portant « sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France ». Cette commission fait suite au travail de plaidoyer de l’association Notre Affaire à Tous et notamment à la campagne TotalMent. Celle-ci révélait, en octobre 2021, la connaissance par les dirigeants et salariés du groupe Total de la probabilité d’un dérèglement climatique sans précédent dû à la production de combustibles fossiles dès 1971.

Dans le cadre de cette commission d’enquête, Paul Mougeolle, doctorant en droit climatique et Brice Laniyan, docteur en droit public, tous deux juristes chez Notre Affaire à Tous, ont été auditionnés le 26 février 2024 par les sénateur.ices sur la question des « différentes pistes juridiques disponibles pour établir la responsabilité des multinationales en matière climatique ». A la suite de cette audition, des questions écrites ont été envoyées, destinées à aider à la rédaction d’un rapport final censé être publié à l'issue de la commission en juin 2024.

Cet article reprend les réponses qui ont été envoyées au Sénat, dans lesquelles les propositions portées par Notre Affaire à Tous en matière de responsabilisation des acteurs économiques sont exposées.

 

1 - La loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre

a. En tant que juristes, estimez-vous que les plans de vigilance publiés par les entreprises donneuses d’ordre sont satisfaisants et correspondent à l’esprit de la loi ? Le 12 juin 2023, Notre Affaire à Tous (NAAT) a publié le rapport Vigilance climatique 2023, qui étudie la vigilance climatique de 26 entreprises multinationales françaises. Selon ce rapport, aucune d’entre elles ne se conforme à l’ensemble des critères de vigilance climatique fixés par NAAT. Des progrès ont-ils pour autant été constatés lors des derniers exercices récents, depuis 2020 ? Si oui, sur quels points ? Quels sont les principaux axes d’amélioration restants ? Dans ce rapport vous estimez que les 26 multinationales étudiées auraient le pouvoir d’agir sur plus de 10 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales. Pourriez-vous justifier cette estimation chiffrée ?

Selon le résumé et les résultats principaux de notre quatrième rapport, publié en 2023, les progrès notables depuis 2020 sont les suivants (les éléments qui suivent sont directement tirés de notre dernier rapport) : 

  • S’agissant de l’intégration du climat au devoir de vigilance : 

    • Toutes les entreprises du Benchmark intègrent le climat à leurs plans de vigilance en 2023, hormis Veolia qui refuse intentionnellement de le faire. 

    • Tandis qu’en 2020, dix entreprises sur 25 n’intégraient pas du tout le climat à leurs plans de vigilance. 

  • En terme d’ambition climatique : 

    • La majorité des entreprises (15 sur 26) annonce désormais viser une trajectoire 1,5 °C tandis que d’autres assument encore une trajectoire moins ambitieuse du type 2°C ou « bien en dessous de 2 °C » et/ou se contentent encore de faire référence à l’objectif lointain de neutralité carbone en 2050. 

    • Ce chiffre a largement évolué depuis la première édition du Benchmark publiée en 2020, où aucune entreprise ne s’était engagée sur une trajectoire 1,5 °C. Dans la seconde édition publiée en 2021, 5 entreprises sur 27 visaient une telle trajectoire, et dans la troisième édition de 2022, 8 entreprises sur 27.

Les principaux axes d’amélioration sont les suivants :

  • Concernant les mesures de réduction de gaz à effet de serre (GES), les objectifs climatiques publiquement affichés par les entreprises analysées permettraient de réduire leurs émissions d’ici 2030 de 20 % par rapport à 2019 (année hors effet COVID) et de 6 % seulement par rapport à 2021 (la valeur est plus faible en prenant en compte cette dernière année comme référence, à cause de l’effet de la crise sanitaire qui a provoqué un ralentissement considérable de l’activité économique ainsi qu’une baisse temporaire des émissions). Cependant, la réalisation de ces objectifs n’est pas garantie, à ce stade, par des mesures concrètes correspondantes et s’apparentent donc, dans de nombreux cas, à du greenwashing. Plus généralement, des efforts considérables supplémentaires doivent encore être mis en œuvre par les entreprises pour réduire de 50 % leurs émissions en 2030. Le chiffre de 50 % représente la valeur minimale à atteindre pour être aligné sur 1,5°C selon le groupe d’experts de l’ONU « HLEG » sur les engagements climatiques des entreprises (HLEG étant l’acronyme anglais couramment utilisé pour désigner un groupe d’experts de haut niveau). Les progrès restant à réaliser au niveau des « mesures concrètes » sont les suivants : 

    • De nombreuses entreprises proposent des solutions technologiques (capture et stockage du carbone etc) pour décarboner leurs activités (secteurs de l’énergie, de l’industrie et de la construction, ainsi que le secteur aérien), alors que leur commercialisation à l’échelle requise demeure encore largement incertaine et spéculative.

    • Certaines entreprises font dépendre leurs mesures de décarbonation de subventions publiques (ArcelorMittal). La plupart des entreprises laisse entendre qu’elles n’agiront pas de manière pro-active en l’absence de réglementations les contraignant en ce sens, et ce alors même qu’elles continuent d’enregistrer des profits importants et disposent de la capacité d’agir plus fortement dès aujourd’hui. 

    • Dans la même veine, toutes les entreprises ou presque limitent leurs engagements au territoire européen et/ou aux pays développés et ce quand bien même une part importante de leur activité économique est tournée vers d’autres zones géographiques.

    • Aucune entreprise du secteur agro-industriel et financier n’a réussi à faire cesser la déforestation au sein de ses activités et de celles de ses fournisseurs à la fin de l’année 2020 alors que certains acteurs agro-industriels (Danone, Carrefour) et financiers (BNP, Société Générale) s’étaient engagés à cet égard . 

    • 12 entreprises font appel à la compensation carbone, alors qu’il ne devrait s’agir que d’un moyen subsidiaire de réduction des émissions de GES, ne devant être mis en place qu’en dernier recours pour réduire les émissions résiduelles (2).

  • En termes d’identification des risques, les entreprises reconnaissent les dangers climatiques mais aucune ne mentionne les risques graves associés à un dépassement de la température mondiale de 1,5 °C. 

  • S’agissant de la reconnaissance de leurs responsabilités, les entreprises continuent d’essayer de limiter leurs responsabilités individuelles en renvoyant à la responsabilité collective et au caractère global du réchauffement climatique, en refusant d’agir fermement sur les émissions de scope 3 alors qu’elles sont prépondérantes pour la plupart d’entre elles ou encore en prétextant un besoin de subventions publiques pour effectuer la transition alors que certaines entreprises réalisent des profits colossaux.

  • En bref, toutes les entreprises doivent encore renforcer la transparence des informations divulguées et des ambitions annoncées, évaluer au préalable l’impact possible et de l’efficacité des plans d’action projetés, et enfin être bien plus proactives au lieu d’attendre que les États les contraignent à agir.

Comment pouvons-nous établir que les 26 multinationales étudiées auraient le pouvoir d’agir sur plus de 10 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales ?

  • Notre étude se fonde principalement sur les émissions déclarées par les entreprises et, à titre accessoire en l’absence de données dévoilées publiquement, sur les chiffres partagés par d’autres études disposant d’une méthode robuste. 

  • Selon notre évaluation, les émissions scopes 1+2+3 des 26 entreprises multinationales françaises étudiées s’élèvent entre 2 250 et 5 500 Mt CO2eq (soit 2,25 et 5,5 Gt CO2eq), signifiant qu’elles ont le pouvoir d’agir sur 4,4 à 9,5 % des émissions mondiales de GES. 

    • Plus précisément, en 2019, l’ensemble des émissions déclarées par les entreprises elles-mêmes représentait 4,4 % du total des émissions mondiales. 

    • En prenant en compte les émissions indirectes de scope 3 des banques telles qu’identifiées par Oxfam et Carbon4Finance (3), ce chiffre s’élève à 9,55 % des émissions mondiales (cf. les acteurs financiers ne reportent pas leurs émissions liées aux entreprises qu’elles financent (scope 3), hormis le Crédit Agricole ; Oxfam et Carbon4 ont proposé une estimation de leurs émissions, dont la prise en compte conduit à une augmentation drastique des émissions des entreprises du Benchmark). 

  • Bien que ces estimations n’excluent pas le double voire le triple comptage, ces chiffres démontrent la pertinence ainsi que la nécessité de réglementer, en France et ailleurs, les multinationales en matière climatique.

b. Estimez-vous que les contentieux à l’égard de sociétés privées (par exemple en matière de devoir de vigilance) sont plus efficaces ou moins efficaces que les contentieux à l’égard de l’État (recours en responsabilité et/ou recours pour excès de pouvoir) pour atteindre l’objectif de justice climatique que se fixe votre association ?

Les contentieux contre les acteurs privés sont complémentaires à ceux dirigés contre les acteurs publics. 

Que ce soit en France ou à l’étranger, les contentieux climatiques visent à la reconnaissance d’un principe élémentaire de justice selon lequel chacun doit faire sa part. Ce principe implique en priorité une contribution des acteurs systémiques qui ont déterminé et déterminent encore le système socio-technique dans lequel nous sommes tous contraints d’opérer, à savoir les États et les grandes entreprises, bien souvent des multinationales (4). 

Le dernier rapport du LSE/Grantham Research Institute, l’un des principaux centres de recherche en matière de contentieux climatique, a mis en évidence que près de 50 % des contentieux climatiques aboutissent à des décisions favorables à l’action climatique (5). Ce chiffre montre que si les recours climatiques peuvent prendre du temps pour obtenir la formation de précédents et autres jurisprudences constantes, ce type d’actions stratégiques n’est pas dénué d’effets.  

Le dernier jugement notable en date du 9 avril 2024 de la Cour Europénne des Droits de l’Homme (CEDH) dans l’affaire Klimaseniorinnen confirme une responsabilité climatique claire des 46 pays de l’espace juridique de la Convention. Plus précisément, les contentieux contre les Etats ont permis de faire : 

  • reconnaître que certaines lois obligent à réduire les GES (6); 

  • exécuter les objectifs de réduction de GES législatifs ou réglementaires (7);

  • spécifier les trajectoires de réduction de GES afin qu’elles soient cohérentes avec leurs propres objectifs, notamment celui de limiter le réchauffement climatique conformément à l’accord de Paris (8);

  • réhausser l’ambition des objectifs de réduction de GES afin qu’ils soient compatibles avec un certain niveau minimal d’ambition accepté nationalement et internationalement (9);

  • ces différentes jurisprudences ont créé un effet d’entraînement en suscitant le développement de près de 81 cas dirigés contre des pouvoirs publics (10). De plus, la CEDH dans l’affaire Klimaseniorinnen a confirmé ces tendances ci-dessus, et affirme l’applicabilité de ces principes aux 46 Etats liés par la Convention. Il est probable que la Cour internationale de Justice, le Tribunal international du droit de la mer, la Cour interaméricaine des droits de l’homme renforcent et précisent à leur tour les obligations climatiques.

Bien que les contentieux contre les entreprises ne fassent pas encore l’objet d’une jurisprudence aussi fournie que ceux contre les Etats, ils sont susceptibles de faire reconnaître les obligations suivantes  :

  • obliger les acteurs à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C c’est-à-dire :

  • réduire leurs émissions de GES d’environ 50 % en 2030 et atteindre la neutralité climatique en 2050 au plus tard ; à l’instar de ce qui est prévu dans la jurisprudence Milieudefensie c. Shell aux Pays-Bas où la société-mère du groupe Shell a été enjointe à réduire ses émissions directes et indirectes de GES de 45 % d’ici 2030 par rapport à 2019 ;

  • réduire la production d’énergie fossile ; faire cesser l’exploitation et le financement de nouveaux projets d’hydrocarbures ; augmenter et vice-versa accélérer le déploiement des énergies bas-carbone comme le demandent les requérants dans les affaires TotalEnergies et BNP Paribas notamment.

  • obliger les acteurs à prendre part aux coûts d’adaptation et de pertes et préjudices (cf. contentieux Lliuya c RWE en Allemagne, ou encore les multiples actions engagées aux USA contre les majors oil and gas).

De plus, leurs effets sont déjà prégnants : 

  • adoptions de textes législatifs : l’UE est en passe d’adopter le projet de directive CSDDD en mettant en place l’obligation principale évoquée en contentieux contre les entreprises, notamment celle de limiter le réchauffement à 1,5°C sur les scopes 1, 2 et 3 ;

  • création d’un effet d’entraînement en inspirant d’autres actions judiciaires en Belgique contre TotalEnergies, en Allemagne contre RWE, en Italie contre ENI, en Suisse contre Holcim, aux Pays-Bas contre ING, aux États-Unis contre diverses majors du carbone etc. ; 

  • pression sur l’entreprise à travers une forme de name & shaming susceptible de pousser celle-ci à faire évoluer ses pratiques avant les décisions judiciaires sur le fond pour limiter le risque de réputation : la mise en demeure de TotalEnergies par un groupe de collectivités territoriales et d’associations dont Notre Affaire A Tous a poussé l’entreprise à intégrer le climat dans son plan de vigilance. De la même manière, la BNP a pris de nombreux engagements (toujours insuffisants) depuis sa mise en demeure par trois associations. La banque s’est notamment engagée, dans sa dernière politique Oil and Gas 2023, à ne plus accorder de « financement dédié à des projets de développement de nouveaux champs pétroliers ou gaziers, quelles que soient les modalités de financement » ;

  • matérialisation du risque de transition lié à l’encadrement, voire l’interdiction pour certaines, des activités économiques les plus émettrices ;

  • impact financier sur la valeur de l’entreprise dans le secteur des énergies fossiles : une étude du Grantham Institute a montré que “a filing or an unfavourable court decision in a climate case reduced firm value by -0.41% on average, relative to expected values. The largest stock market responses were found for cases filed against Carbon Majors, reducing firm value by -0.57% following case filings and by -1.50% following unfavourable judgements” (11);

  • difficulté d’accès au capital : TotalEnergies relève, par exemple, que l’entreprise « est exposée à un risque d’accès plus difficile aux ressources financières dont la Compagnie a besoin, en particulier pour développer ses activités dans les domaines pétrolier et gazier » (12);

  • impact sur la désirabilité de l’entreprise sur le marché du travail (13): difficulté pour le recrutement dans le secteur des fossiles, les activités liées à l’expansion fossile étant perçues comme socialement inacceptables, mais également des mouvements sociaux en interne face aux reculs de l’entreprise dans ses engagements climatiques ;

Susciter le débat public et l’attention de la société civile sur la responsabilité des grandes entreprises dans l’aggravation de la crise climatique : lien entre les actions judiciaires contre la BNP et la campagne “change de banques”.

c. Quel bilan tirer de l’application de cette loi en matière contentieuse ? 

i. Le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 5 décembre dnier (SUD PTT c/ la Poste) dresse-t-il les jalons d’une effectivité renforcée du devoir de vigilance ? En particulier, ce jugement précise que « l’article L.225-102-4 II, ne prévoit pas de donner au juge le pouvoir d’enjoindre à l’entreprise de prendre des mesures adéquates spécifiques, mais vise simplement “à faire respecter” à la société mère/donneuse d’ordre “les obligations prévues au I”, dont celle d’intégrer au plan “des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prétention des atteintes graves”. / La loi instaure ainsi un contrôle judiciaire sur l’intégration au plan de mesures concrètes, adéquates et efficaces en cohérence avec la cartographie des risques. En cas de manquement à cette obligation, elle lui donne le pouvoir d’enjoindre à la société d’élaborer, dans le cadre du processus d’autorégulation des mesures de sauvegarde que cette dernière doit définir en association avec les parties prenantes ainsi que des actions complémentaires plus concrètes et efficaces en lien le cas échéant avec un risque identifié. Mais cette disposition ne saurait conduire le juge à se substituer à la société et aux parties prenantes pour exiger d’elles l’instauration de mesures précises et détaillées ». Cette interprétation vous paraît-elle fondée ? Le juge pourrait-il au contraire enjoindre avec précision à l’entreprise des mesures concrètes afin de corriger son plan de vigilance ?

Concernant le jugement SUD PTT c/ la Poste rendu le 5 décembre 2023 par la chambre sociale du tribunal judiciaire de Paris :

Il convient au préalable de rappeler que le groupe la Poste a finalement décidé de faire appel et que l’exercice consistant à tirer des enseignements de l’affaire La Poste comporte des « limites, dans la mesure où il ne repose que sur une décision, qui plus est de première instance, rendue par une chambre sociale au sujet d’une entreprise détenue à 100 % par des capitaux publics et relativement bien perçue du grand public » (14).

Il s’agit du premier jugement au fond rendu par le Tribunal judiciaire de Paris statuant sur le respect, par une entreprise, de ses obligations issues de la loi sur le devoir de vigilance.

Ce jugement reconnaît que la loi « instaure un contrôle judiciaire sur l’intégration au plan de mesures concrètes, adéquates et efficaces ». Le Tribunal judiciaire rappelle également que :

  • la cartographie des risques doit permettre au public de connaître l’identification précise des risques que l’entreprise fait courir ;

  • les actions de prévention « ne peuvent se limiter à des déclarations générales d’intention ». Elles doivent porter sur les risques identifiés et être suffisamment précises pour conduire à une mise en œuvre concrète et effective.

En l’espèce, les juges ont considéré que les mesures prises par La Poste ne répondaient à aucune de ces exigences. Ce jugement confirme donc que la loi relative au devoir de vigilance impose aux entreprises un comportement prudent en matière de protection des droits humains et de l’environnement. De simples informations, ou encore des mesures vagues et générales ne peuvent suffire.

En ce sens, cette décision s’inscrit dans la continuité d’un contrôle judiciaire du devoir de vigilance, confirmé par une ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Nanterre rendue dans l’action judiciaire visant TotalEnergies, au moment des débats sur la compétence (Ordonnance de mise en état, Tribunal judiciaire de Nanterre, 11 février 2021, RG n°20/00915). 

La chambre sociale rappelle que les pouvoirs d’injonction prévus par l’article L. 225-102-4 II du code de commerce ne permettent pas au juge de se substituer aux instances dirigeantes d’une entreprise. Elle réaffirme ce faisant un principe de non-immixtion dans les affaires de la société, renvoyant dos à dos les parties prenantes et l’entreprise pour l’élaboration – et le cas échéant la modification – du plan de vigilance. Le tribunal précise qu’un requérant ne peut demander au juge d’enjoindre à une entreprise d’adopter des mesures précises et détaillées étant donné qu’elles relèvent d’une « discussion stratégique » qui requiert l’étroite association des parties prenantes et dépasse « très largement l’office du juge ». 

Selon les dispositions de la loi, les travaux parlementaires et la doctrine, le pouvoir qui a été confié au juge par le législateur est celui de contrôler à la fois la qualité et l’effectivité des mesures de vigilance. Si celles-ci s’avèrent insuffisantes, il nous paraît concevable que le juge émette deux types d’injonction : 

  • une injonction générale obligeant l’entreprise à corriger son plan de vigilance et les mesures associées ;

  • une injonction plus précise à condition de réunir certains éléments démontrant le caractère raisonnable, adéquat et proportionné de la mesure à l’image de la jurisprudence Shell aux Pays-Bas (cf. les requérants y ont démontré que de nombreux éléments consensuels politico-juridiques et scientifiques permettent de fonder les injonctions).

c. ii. Que change la compétence exclusive du tribunal judiciaire de Paris, par rapport à une compétence du tribunal de commerce ?

Le tribunal de commerce est composé de dirigeants d’entreprise élus par leurs pairs, tandis que le tribunal judiciaire est composé de magistrats professionnels. Il s’agit d’une différence conséquente. La compétence exclusive du tribunal judiciaire (le cas échéant de Paris) permet de prévenir une proximité trop importante entre le tribunal et les entreprises défenderesses, et d’avoir accès à des juges dont les compétences  sont plus appropriées. 

En consacrant la compétence du juge judiciaire, les parlementaires ont également reconnu le véritable sens du devoir de vigilance. Il s’agit en effet d’une obligation incombant aux entreprises d’identifier les risques et de prévenir les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, et donc d’une question qui concerne l’ensemble de la société, qui devrait être en toute logique traitée par le juge civil. La décision inverse aurait pu avoir pour conséquence d’aborder cette loi sous un prisme excessivement commercial, au risque de réduire le devoir de vigilance à une simple obligation formelle de management des risques. 

Pour que le juge civil puisse mener à bien sa mission il est nécessaire de lui accorder davantage de moyens humains et financiers. Il est indispensable, par ailleurs, de renforcer la formation des magistrats notamment sur les sujets entreprises et droits humains (Business & Human rights), sur les questions climatiques et plus globalement sur les enjeux sanitaires et environnementaux.

c. iii. L’article L. 225-102-5 du code de commerce relatif à l’engagement de la responsabilité civile de la société manquant aux obligations de l’article L. 225-102-4 et l’obligation de réparer le préjudice en résultant, a-t-il déjà trouvé à s’appliquer en droit français ? 

Pas à notre connaissance, sauf dans le contentieux La Poste, comme vous l’avez relevé ci-dessus, qui vise en revanche l’application des obligations définies à l'article L. 225-102-4, au titre d’une action en injonction, plutôt que la réparation du/des préjudice(s) en résultant.

Si les premières actions “devoir de vigilance” se fondent essentiellement sur l’article L. 225-102-4 du code de commerce qui ouvre une action en injonction, d’aucunes incluent aussi des demandes en réparation conformément à l’article L. 225-102-5 du même code qui prévoit une action en responsabilité civile. Dans le dossier Casino, les organisations représentant les peuples autochtones affectés au Brésil et en Colombie ont demandé réparation pour la perte de chance – résultant des fautes de vigilance de l’entreprise – de jouir pleinement d’un environnement préservé, composante indispensable de leur cadre de vie et de leurs moyens de subsistance. Des demandes indemnitaires ont également été formées dans le dossier Yves Rocher et l’affaire Tilenga/EACOP II initiée en juin 2023.

c. iv. Comment s’articulent les dispositions de l’article L. 225-102-5 et celles de l’article 1252 du code civil concernant la prévention ou la cessation d’un préjudice écologique ? 

Les dispositions de l’article L. 225-102-5 et celles de l’article 1252 du code civil constituent deux fondements complémentaires n’excluant en aucune manière l’application de l’un ou de l’autre.

Plus précisément, l’article 1252 du code civil concernant la prévention ou la cessation d’un préjudice écologique permet au juge de « prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage. »

La loi sur le devoir de vigilance poursuit un objectif similaire. Elle oblige à « identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement » (art. L. 225-102-4 du Code de commerce).  En matière de déforestation, certaines sociétés qui commercialisent ou produisent des produits agricoles ou forestiers doivent en outre « identifier les risques et [...] prévenir la déforestation associée à la production et au transport vers la France de biens et de services importés » (art. L. 225-102-4 du Code de commerce ; nouvel alinéa ajouté par l’article 273 de la loi « climat et résilience »). Elle permet également au juge de faire respecter ces obligations en imposant des injonctions et des astreintes aux sociétés qui ne les respectent pas.

De plus, comme le rappelle régulièrement la doctrine (15), la loi relative au devoir de vigilance vient concrétiser et préciser les obligations découlant du droit commun de la responsabilité civile ; ce qui explique d’ailleurs pourquoi l’article 2 de la loi du 27 mars 2017 (codifié à  l’article L225-102-5 du code de commerce) y renvoie. 

Par ailleurs, le droit commun prévoit également la réparation et la prévention du préjudice écologique. De ce point de vue, le droit commun et la loi relative au devoir de vigilance forment un tout cohérent.

d. Est-il opportun que le législateur apporte des précisions sur la nature du devoir de vigilance afin de mieux encadrer l’office du juge ? En particulier, serait-il pertinent de préciser que le plan de vigilance comporte des mesures tendant à assurer le respect de l’objectif défini par l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C ?

Les points de vue peuvent diverger à cet égard. 

En matière de devoir de vigilance, le caractère relativement générique du texte dispose de certains avantages, en tout premier lieu, une versatilité, qui lui permet notamment de couvrir tout type de risques. De plus, la Cour d’appel rendra prochainement trois décisions importantes sur les questions de recevabilité, ainsi que sur des demandes provisoires en matière climatique. Elle aura également l’occasion de se prononcer au fond dans le dossier Sud PTT c. La Poste, suite à l’appel de La Poste. Il semble pour le moment admissible de laisser les juges opérer et d’attendre que la Cour de cassation se prononce pour voir s’il est nécessaire ou pas pour le législateur d’intervenir. 

Néanmoins, au regard de l’urgence climatique, ainsi que des questions difficiles de séparation des pouvoirs que la question climatique pose (la CEDH affirme que son office est seulement complémentaire aux institutions démocratiques des Etats dans le jugement Klimaseniorinnen (16)), il semble tout autant défendable de travailler d’ores et déjà à la meilleure réglementation législative possible, si possible, en dehors de la loi sur le devoir de vigilance, en conférant par exemple une portée extraterritoriale à la loi Hulot. Cet amendement pourrait ainsi prévoir une obligation spécifique des sociétés mères de faire cesser la recherche ainsi que l'exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels. Une extension aux acteurs financiers semble également nécessaire. De surcroît, le législateur français pourrait d’ores et déjà préparer la transposition de la CSDDD, en élucidant les niveaux de protection souhaitant être plus élevés ainsi que les clauses de non-régression vis-à-vis du droit français, notamment par le biais de consultations d’experts et de la société civile (cf. v. ci-dessous nos recommandations à cet égard sur le fond).

e. La création en janvier dernier de la chambre 5-12 de la Cour d’appel de Paris « Contentieux émergent – Devoir de vigilance et responsabilité écologique » vous paraît-elle de nature à permettre aux magistrats de dégager suffisamment de temps pour statuer sur des dossiers aussi complexes ?

Est-il opportun de créer une chambre équivalente au sein du Tribunal judiciaire de Paris ?

La création d’une chambre dédiée aux « contentieux émergents» au niveau de la Cour d’appel va dans le bon sens mais doit être suivie de mesures supplémentaires.

La création de cette chambre répond à une attente de la société civile et des personnes et communautés affectées qui souhaitent :

  • que ces affaires soient jugées dans de meilleures conditions ;

  • en respectant une certaine transversalité des compétences afin de sortir du seul angle droit commercial/droit des sociétés. En effet, la loi relative au devoir de vigilance porte sur des questions d’intérêt général qui concernent l’ensemble de la société et ne sauraient être réduites à des sujets de nature purement économique et commerciale liés à la gestion ou au fonctionnement de sociétés commerciales. La vigilance est à la croisée du droit des sociétés et groupements, droit de la responsabilité civile, droit international des droits humains et des libertés fondamentales, droit de l’environnement et du droit social, droit international privé.

Pour rappel, le député Dominique Potier avait déclaré, alors qu’il existait une incertitude entre compétence du tribunal judiciaire et compétence du tribunal de commerce, que « La volumétrie de ce contentieux complexe est nécessairement limitée dès lors que cette obligation ne concerne que les entreprises d’une certaine dimension, ce qui justifie pleinement la spécialisation d’un ou plusieurs tribunaux judiciaires. Par ailleurs, la forte technicité de ce contentieux justifie qu’il soit confié à des magistrats particulièrement spécialisés » (17). 

Des inquiétudes demeurent toutefois : 

  • la création d’une chambre dédiée ne signifie pas que les magistrats qui y sont affectés disposent de plus de moyens ni même de plus de temps. Il est donc impératif que les magistrats chargés de ces dossiers disposent du temps nécessaire pour aller au fond du dossier et en comprendre tous les enjeux. Un temps suffisant doit être alloué aux audiences pour permettre au contradictoire de s’exprimer pleinement et donner l’opportunité aux magistrats d’interroger de manière approfondie les deux parties

  • la chambre spéciale reste au sein du pôle économique, ce qui suscite une certaine inquiétude ; d’autant plus qu’avec la création du conseil de justice économique de la Cour d’appel, qui réunit les directions d’administration centrale de Bercy et de la Chancellerie, les acteurs du monde économique parisien et les principales autorités de régulation intervenant dans le champ économique et financier. Il y manque les représentants de la société civile ! Cette absence est d’autant plus problématique que le premier président de la Cour d’appel de Paris Jacques Boulard estime que la vocation de ce conseil est de « mieux comprendre ce qui est attendu » de l’office du juge en matière de RSE et de grands défis économiques de demain (ex : IA) 

Nous recommandons la création d’une chambre similaire au niveau du Tribunal judiciaire de Paris, ce qui serait cohérent avec l’une des recommandations du Rapport des Etats généraux de la justice (Octobre 2021- avril 2022), qui estime que : 

 « La première instance est souvent perçue comme un “galop d’essai” et, dans ce contexte, les jugements des tribunaux judiciaires sont de plus en plus contestés. Les procédures s’en trouvent allongées et les cours d’appel sont saturées. 

À rebours de cette tendance, le comité estime que la première instance doit être le lieu où la justice est prioritairement rendue et il formule le souhait que l’appel cesse d’être l’instance où se rejuge la totalité du litige et devienne à terme une voie de réformation de la décision de première instance. Pour cela, il est indispensable que l’essentiel des efforts à venir soient orientés vers la première instance, où l’affectation des moyens et les méthodes de travail doivent être repensées de fond en comble. Le retour de la collégialité, gage d’une justice de qualité, est indispensable. La mise en place d’une équipe de collaborateurs autour du juge, par chambre ou par service, doit également être systématisée afin de limiter la dimension solitaire de l’activité judiciaire et de concourir à une meilleure qualité des décisions (p. 21-22) ».

f. Des pays européens, à l’instar des Pays-Bas ou de l’Allemagne, ont-ils mis en œuvre un cadre similaire au cadre français sur le devoir de vigilance ? Pourriez-vous décrire les similitudes et les différences de ce devoir de vigilance par rapport au devoir de vigilance français ?

En droit allemand, il existe depuis le 16 juillet 2021 une loi sur les obligations de vigilance des entreprises dans les chaînes d’approvisionnement (18), entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Il s’agit donc du pendant de la loi française de 2017 puisqu’elle impose une obligation de diligence raisonnable (Sorgfaltspflicht) aux entreprises donneuses d’ordre de superviser leurs chaînes de sous-traitance et fournisseurs afin de prévenir les « risques pour les droits de l’homme ». La loi allemande partage la finalité de la loi française mais son opérationnalisation est plus précise, et se restreint aux relations entre les donneurs d’ordre d’une part, et les sous-traitants et fournisseurs d’autre part. Contrairement à la loi française qui englobe dans son champ d’application les activités en aval et qui permet d’engager la responsabilité civile de la société-mère pour une faute commise par un sous-traitant, la loi allemande se cantonne aux activités en amont et aux fournisseurs de premier rang. 

Son champ d’application personnelle est toutefois plus large que celui de la loi française puisqu’elle est applicable à toutes les entreprises établies en Allemagne qui emploient, dans le pays, plus de 3000 salariés. Ce seuil devrait passer à 1000 salariés cette année. Sont également concernées les entreprises étrangères représentées en Allemagne par au moins un établissement secondaire et employant au moins 3000 salariés. La loi française concerne, elle, les entreprises ayant leur siège en France et qui emploient plus de 5000 salariés sur le territoire ou plus de 10 000 salariés en France et à l’étranger. 

Bien que la loi allemande soit plus précise que la loi française, elle ne contient pas d’application explicite en matière de climat. Cependant, puisque le changement climatique porte atteinte aux droits humains, il devrait être possible de l'appliquer au réchauffement de la planète. 

La loi allemande prévoit, qu’en sus de rechercher la responsabilité civile dans des cas graves (19), que le "Bureau des affaires économiques et du contrôle des exportations" (BAFA - étant l'abréviation utilisé en allemand), soit chargé de contrôler l’application de la loi (20). Ce système de contrôle administratif des obligations de vigilance des entreprises n’existe pas en droit français mais devrait émerger en cas d’adoption de la directive CSDDD, laquelle prévoit la désignation d’une “autorité de contrôle”. 

Concernant l’accès au prétoire, la loi allemande est plus stricte que la loi française puisqu’elle ne permet aux syndicats et ONG d’agir en justice qu’à condition qu’ils le fassent au nom et sur mandat d’une victime. Au contraire, la loi française autorise toutes les ONG sans condition d’ester en justice pour leur propre compte afin de défendre leurs intérêts sociaux. L’accès à la justice nécessite d’être conservé en France.

Dans quel cadre juridique s’inscrit la décision du juge néerlandais condamnant Royal Dutch Shell à réduire de 45 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et reconnaissant sa responsabilité civile en raison de sa contribution au changement climatique ? Une même décision, à cadre juridique constant, est-elle envisageable en France ?

Le cadre juridique de la décision néerlandaise s’inscrit dans le droit commun de la responsabilité du code civil néerlandais, inspiré du code Napoléon. Ce droit commun rend la personne responsable civilement d’un dommage - ou d’un risque imminent de dommage - causé à autrui avec négligence, à l’image des articles 1240 et 1241 du Code civil.

Une décision similaire est amplement envisageable en France comme Brice Laniyan l’a démontré à l’oral lors de l’audition. Afin de revenir sur les points importants de son intervention :

Le droit commun de la responsabilité prévoit, dans tous les systèmes juridiques, une obligation de prudence, un duty of care, qui permet de lancer des recours climatiques contre des acteurs non-étatiques et notamment contre des multinationales. 

L’obligation de prudence ou diligence repose sur le principe selon lequel nul ne doit nuire à autrui et à l’environnement – nul ne doit occasionner consciemment des pertes et préjudices. La présence de cette obligation de prudence signifie que, même en l’absence d’une norme indiquant explicitement l’interdiction de tel ou tel comportement, ou d’une action spécifique, une entreprise est tenue de faire preuve de prudence, agir de manière raisonnable et éviter tout comportement fautif ou négligent, susceptible de créer des risques d’atteinte graves aux droits humains et à l’environnement. 

Pour apprécier si une entreprise se conforme ou non à son devoir de prudence, le juge s’appuie sur un standard de comportement. Il s’agit d’une norme « ouverte », lui offrant ainsi une certaine souplesse et plasticité pour s’adapter aux évolutions de la société, de la technique et de la science. Le droit de la responsabilité civile s’est d’ailleurs déjà adapté aux nouveaux risques survenus avec la révolution industrielle, il apparaît donc logique qu’il s’adapte à présent aux conséquences de cette révolution sur le climat, l’environnement et les droits humains. Plus précisément, pour caractériser l’existence d’une faute de prudence imputable à une entreprise, le juge peut s’appuyer entre autres sur : 

  • le lien entre les activités de l’entreprise et l’existence d’un danger ou d’un risque (en l’occurrence le réchauffement climatique) ; 

  • la période où l’entreprise a eu connaissance des impacts négatifs liés à ses activités ; 

  • la probabilité et la gravité que le danger se produise effectivement et ce malgré sa relative incertitude ; 

  • la capacité de l’entreprise à atténuer ces impacts négatifs et à transitionner. 

En France, la jurisprudence Distilbène (21) a reconnu la possibilité de se fonder sur les anciens articles 1382 et 1383 du Code civil (désormais article 1240-1241 du Code civil) pour engager la responsabilité d’un laboratoire, fabricant et distributeur de médicaments, pour défaut de vigilance dans sa gestion de risques connus et identifiés sur le plan scientifique d’un produit dangereux pour la santé. A droit constant, en se fondant sur cette jurisprudence et sur la loi sur le devoir de vigilance, ainsi que sur le régime général de la responsabilité civile, un juge français peut d’ores et déjà caractériser un manquement à un devoir de prudence en matière climatique d’une pétro-gazière comme Shell en prenant en compte : 

  • les rapports du GIEC qui indiquent, depuis de nombreuses années, les dangers et risques liés à un réchauffement à 1,1 ° et l’importance de chaque dixième de degré supplémentaire ; 

  • le fait que les fossiles soient le premier poste d’émissions de gaz à effet de serre ; 

  • les informations données par la science, l’AIE et l’ONU indiquant qu’une entreprise qui continue de développer de nouveaux projets fossiles compromet fortement les chances de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C ; 

  • la connaissance de certaines entreprises depuis les années 1970, avant même la création du GIEC et de la Convention cadre des NU, des graves impacts des énergies fossiles sur l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre ;

  • l’investissement des majors du carbone dans le lobbying anti-climat au détriment de l’évolution de leur modèle économique via de nouvelles capacités de renouvelables. 

Ces éléments permettent ainsi de caractériser la faute climatique d’une entreprise pétro-gazière en se fondant sur le droit commun de la responsabilité. 

Ce type d’actions jouit par ailleurs d’une forte légitimité et d’une attention soutenue d’institutions telles que la Banque centrale européenne, laquelle doit gérer des risques systémiques et financiers qui aujourd’hui sont intimement liés à la capacité des institutions financières et leurs clients à transitionner et cesser le développement de nouveaux projets fossiles (22). 

A cet égard, il est nécessaire de prendre conscience de l’existence d’un véritable dialogue des juges. Ces derniers observent ce que font leurs homologues dans d’autres systèmes juridiques. Les recours à l’étranger pourraient ainsi avoir un impact, voire même s’exporter en France. Chaque cour suprême dispose d’un département consacré à l’étude de décisions étrangères, censées nourrir leur propre travail juridictionnel. Ainsi, une réunion internationale « Justice, Générations futures et Environnement », organisée au Conseil constitutionnel réunissait, le 7 février dernier, une centaine de Présidents et juges de cours suprêmes nationales, de cours régionales et de juridictions internationales. Ce type d’événements, relativement fréquent,  peut impliquer la Cour de cassation ou le Conseil d’État.

g. Que pensez-vous des propositions suivantes :

i. Le Rapport d’information sur l’évaluation de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre de l’Assemblée nationale propose « la désignation d’une administration chargée du suivi de la mise en œuvre » de ladite loi. Ce même rapport envisage même que soit créée une autorité administrative indépendante (AAI). Cette autorité aurait des pouvoirs d’accompagnement et de contrôle des entreprises. Cette proposition vous semble-t-elle opportune ?

Pensez-vous que les compétences de la CRE pourraient être élargies afin d’exercer cette mission ?

La mise en place d’une autorité de supervision comme le prévoit la directive CSDDD, ou d’une autorité administrative administrative indépendante (AAI), voire la désignation, sur le modèle allemand, d’une administration chargée du suivi de la mise en œuvre peut renforcer l’effectivité du dispositif, mais seulement si certaines conditions strictes d’indépendance, de transparence et d’intégrité des mécanismes sont garanties. Plusieurs risques peuvent être identifiés, et notamment ceux soulignés par l’association Sherpa, à voir que : 

  • il est nécessaire que l’autorité (et la justice) ne se restreignent pas à un contrôle formaliste et superficiel du devoir de vigilance, qui n’est « une simple obligation de mettre en place des processus internes de management des risques » (23). Au contraire, l’obligation de vigilance est une « obligation substantielle de comportement ». (24); 

  • de plus, « la désignation d’une autorité de contrôle n’est pas un gage de transparence. L’expérience des règlements européens sur le bois et sur les minerais de conflit, qui prévoient la désignation d’autorités nationales chargées de leur application, témoigne de l’opacité du suivi mené par ces administrations. La Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature, en charge de l’application du Règlement “Minerais”, a ainsi refusé de transmettre à Sherpa la liste des sociétés soumises à ce règlement, au nom du secret des affaires. Également, les administrations chargées de l’application du Règlement “Bois” (les Directions régionales de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt et le Ministère de la transition écologique) ne publient aucune information sur les entreprises concernées ou les contrôles menés (...) il n’y a aucune garantie que les sanctions prononcées par une autorité administrative (contrairement à une juridiction) seraient rendues publiques » (25);

  • enfin, il existe un risque qu’un contrôle des plans par l’autorité facilite indûment la défense des entreprises dans les contentieux civils (26).

Les risques identifiés appellent à renforcer l’indépendance et la transparence de l’autorité ainsi que l’accès intégral à la justice :

  • l’autorité ou administration choisie doit disposer d’une indépendance forte, à l’instar du Défenseur des droits qui est une autorité constitutionnelle indépendante : à titre d’inspiration, voir notamment la proposition de loi constitutionnelle n°608 du 13 décembre 2022 ;

  • l’autorité doit bénéficier de l’indépendance fonctionnelle, c’est-à-dire être mise à l’abri de l’influence des autorités publiques et des opérateurs privés ; et ne puisse recevoir d’instructions de ces dernières. Cela implique notamment une indépendance hiérarchique vis-à-vis du gouvernement, un budget autonome, une organisation et des missions définies de façon à permettre cette indépendance), la définition des règles visant à garantir et à protéger l’autonomie de l’autorités compétente et l’absence de conflits d’intérêts vis-à-vis des décideurs politiques, d’une part, et des opérateurs économiques, d’autre part ;

  • l’autorité devrait être suffisamment bien dotée en moyens humains et financiers pour mener à bien ses missions dans les meilleures conditions ;

  • les activités de l’autorité doivent être couvertes par la plus grande transparence ; les raisons pour lesquelles des poursuites sont engagées ou non doivent être rendues publiques ;

  • les actions et omissions de l’autorité créée ou l’administration choisie puissent faire l’objet d’un recours devant le juge administratif ; 

  • dans le cas d’une action en justice civile portée directement contre une entreprise,  la non-contestation ou la validation du plan par l’autorité de contrôle ne doit en aucun cas constituer un obstacle rédhibitoire. 

S’agissant de la possibilité de mandater la Commission de régulation de l'énergie (CRE), nous n’avons pas étudié de plus près cette question. Cependant, il apparaît que la CRE veille uniquement au bon fonctionnement des marchés de l'électricité et du gaz en France, au bénéfice des consommateurs finaux et en cohérence avec les objectifs de la politique énergétique. Nous pensons que le périmètre de ses compétences n’est pas pertinent dans la mesure où il est absolument sans lien avec le contrôle de mesures de vigilances en lien avec les droits humains, qui plus est à l'étranger. Or, il s’agit de surveiller la mise en œuvre du devoir de vigilance d’entreprises se situant en dehors du secteur de l’énergie. Le Défenseur des droits et/ou une AAI ad-hoc répondant aux conditions exposées ci-dessus nous sembleraient être des autorités plus opportunes.

g. ii. Face aux incertitudes sur le périmètre d’entreprises concernées, vous semblerait-il pertinent de publier la liste des entreprises tenues de publier un plan de vigilance afin que celles ne l’ayant pas publié puissent être mises en demeure ?

Oui, absolument. Il s’agit d’une demande formée à plusieurs reprises par la société civile, sans retour du Ministère de l’économie. Il est étrange que le suivi des entreprises diligentes ou fautives soit abandonné des services de l’Etat et mis à la charge de la société civile. Nous partageons l’opinion exprimée par Sherpa dans son Guide de Référence pour les Plans de Vigilance où l’association relève que « Les critères de calcul des seuils sont assez complexes » et qu’« aucune liste officielle des sociétés couvertes n’a été publiée ». Il nous semblerait qu’une telle tâche pourrait être octroyée à l’autorité de contrôle.

g. iii. Vous semblerait-il opportun d’instaurer des mécanismes d’accès des tiers à l’information détenue par les entreprises, dont le refus pourrait donner lieu à un recours juridictionnel ? Cette proposition, défendue par certaines ONG, permettrait selon elles de faciliter les actions en justice contre les sociétés défaillantes en matière de devoir de vigilance.

Oui, il nous semble opportun d’instaurer des mécanismes d’accès des tiers à l’information détenue par les entreprises, dont le refus pourrait donner lieu à un recours juridictionnel. Cette proposition permettrait, selon nous, de faciliter les actions en justice contre les sociétés défaillantes en matière de devoir de vigilance. Nous partageons en ce sens le constat dressé récemment par la CNCDH dans son rapport « Entreprises et droits de l'Homme. Protéger, respecter, réparer » (16 novembre 2023) dans lequel elle relève que :

« L’accès aux voies de recours et à la réparation peut être entravé par la difficulté d’accéder aux informations nécessaires, notamment pour identifier les acteurs responsables de violations des droits de l’Homme ou de l’environnement. Plus largement, des législations et mesures visant à favoriser la transparence sont essentielles pour favoriser la responsabilité dans les activités des entreprises. Les recommandations des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales relatives à la communication d’informations sur la conduite responsable des entreprises ont ainsi été mises à jour en 2023, insistant sur la nécessité de publier des informations “fiables, claires, complètes, précises et comparables, et ce, de façon régulière, prompte et suffisamment détaillée, sur tous les aspects significatifs de leurs activités”. Ces informations doivent notamment porter sur la structure de capital, de groupe et leurs modalités de contrôle, dont la CNCDH a souligné plus haut l’importance pour pouvoir, le cas échéant, engager la responsabilité (civile ou pénale) d’une société-mère pour des actes commis par une de ses filiales à l’étranger. Un exemple illustre que le juge peut parfois imposer à un groupe de fournir des documents censés établir ses liens avec une autre entreprise. La publication d’informations en matière environnementale est également essentielle, notamment compte tenu de la difficulté liée à la preuve du dommage dans ce domaine ». (p. 369).

Par ailleurs, comme le relève l’association Sherpa :

« Le faible nombre d’actions en justice engagées contre des sociétés défaillantes s’explique notamment par les difficultés d’accès à des informations détenues par l’entreprise et qui sont essentielles à caractériser la faute de vigilance ou le lien de causalité (noms des fournisseurs, mesures de prévention mises en œuvre, etc.). Ni la publication de déclaration de performance extra-financière, ni la publication de plans de vigilance ne permettent aujourd’hui de remédier à cette asymétrie d’informations. Les mesures d’instruction in futurum prévues par l’article 145 du Code de procédure civile sont également insuffisantes, comme le démontre le refus par la société Perenco d’exécuter une ordonnance rendue par le Tribunal de Paris qui visait des documents relatifs à ses activités en République Démocratique du Congo.

Ainsi, plusieurs universitaires recommandent la création de mécanismes d’accès par les tiers à l’information détenue par les entreprises qui, comme en matière d’accès aux documents administratifs, pourraient en cas de refus donner lieu à un recours juridictionnel. Cette recommandation, promue depuis longtemps par Sherpa, est également envisagée au niveau européen sous la forme d’un “right to know”» (27).

Enfin, en matière climatique, l’accès à l’information pourrait faciliter l’établissement de la faute d’une entreprise.

h. Que pensez-vous des plaintes déposées sur un volet pénal, notamment celle déposée par 4 ONG le 22 septembre 2023 contre TotalEnergies en raison de sa stratégie de développement de projets d’hydrocarbures en Afrique de l’Ouest, qui vise l’« abstention de combattre un sinistre », l’« homicide involontaire », les « atteintes involontaires à l’intégrité de la personne » et la « destruction ou la dégradation d’un bien appartenant à autrui de nature à créer un danger pour les personnes » ? Cette plainte traduit-elle le caractère non-opérationnel du devoir de vigilance ? Quelles conséquences cette plainte peut-elle avoir pour TotalEnergies, en comparaison à une plainte concernant son devoir de vigilance ?

Nous ne connaissons pas le contenu de cette plainte, hormis quelques éléments très sommaires divulgués par voie de presse. A nos yeux, une plainte au pénal semble une réponse au risque croissant de mortalité et du nombre de morts imputables au réchauffement climatique, comme le relève le GIEC ainsi que les études suivantes : 

Dans tous les cas, cette plainte au pénal ne traduit pas, selon nous, le caractère non-opérationnel du devoir de vigilance. La voie pénale devrait être en revanche complémentaire à celle du civil. La loi du 27 mars 2017 est mise en œuvre par les entreprises ainsi que les tribunaux, bien que les résultats soient, aujourd’hui, effectivement insuffisants à nos yeux. Les jurisprudences à venir, ainsi que la CSDDD pourraient y remédier. 

2 - La Directive (UE) 2022/2464 du 14 décembre 2022 sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (directive CSRD)

a. Les obligations issues de la directive CSRD devraient-elles permettre d’assurer une transparence effective de l’impact social et environnemental de l’activité des entreprises ou créent-elles de nouvelles obligations essentiellement formelles ? 

Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de la directive CSRD. Il est certain, toutefois, que ce texte crée avant tout des obligations de dire, avec lesquelles de fortes attentes comportementales sont malgré tout associées. 

Ainsi, en matière climatique, les obligations prévues par CSRD obligent l’entreprise à communiquer sur la façon dont elles transforment leur modèle économique pour le mettre en cohérence avec l’objectif de l’accord de Paris :

« 1. Les entreprises mères d’un grand groupe visé à l’article 3, paragraphe 7, incluent, dans le rapport consolidé de gestion, les informations [suivantes …]; iii) les plans définis par le groupe, y compris les actions de mise en œuvre et les plans financiers et d’investissement connexes, pour assurer la compatibilité de son modèle commercial et de sa stratégie avec la transition vers une économie durable, la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C conformément à l’accord de Paris, l’objectif de neutralité climatique d’ici à 2050 tel qu’il est établi dans le règlement (UE) 2021/1119 et, le cas échéant, l’exposition de l’entreprise à des activités liées au charbon, au pétrole et au gaz; ».

Les risques (extra-)juridiques d’écoblanchiment (greenwashing) peuvent donc désormais s’accroître suite à l’adoption de la CSRD : si une entreprise ne parvient pas à décrire comment elle s’aligne avec l’objectif de limitation de la température à 1,5 °C, alors elle fera face à des risques réputationnels, économiques voire juridiques ; dans la mesure où cela peut constituer des pratiques commerciales trompeuses, des infractions au règlement de l’AMF (v. réponses ci-dessous). Par exemple, une entreprise qui continue de développer de nouveaux projets pétro-gaziers contrevient clairement à l’objectif du maintien de la température à 1,5 °C. Dès lors, elle risque de se rendre responsable de certains manquements à la loi.

b. Quelles comparaisons peut-on réaliser entre le reporting extra-financier mis en œuvre par cette directive et le reporting financier ? Les données demandées sont-elles d’une précision et d’une fiabilité comparables ?

Nous n’avons pas d’expérience ou de connaissances spécifiques en matière financière. Nous ne pouvons donc pas répondre à cette question. En revanche, la Commission européenne elle-même reconnaissait que la réforme CSRD de la directive précédente NFRD (Non-Financial Reporting Directive) de 2014 était nécessaire pour accroître la qualité et l’exhaustivité des informations communiquées par l’entreprise : « [c]es lignes directrices [sur le Climat, cf. Commission Communication C(2019) 4490 final.] n’ont pas permis d’améliorer suffisamment la qualité des informations publiées par les entreprises en vertu de la directive N.F.R.D. » (28). 

c. La transposition de la directive CSRD par l’ordonnance du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés commerciales appelle-t-elle des remarques ? Cette ordonnance prévoit-elle des sanctions réellement effectives, proportionnées et dissuasives ? Faudrait-il renforcer les sanctions en cas de non-respect par les entreprises de leurs obligations de reporting extra-financier ?

Les obligations climatiques issues de la CSRD n’ont pas été incluses dans l’ordonnance de transposition, mais dans le Décret n° 2023-1394 du 30 décembre 2023 pris en application de l'ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023.

Sur le sujet des sanctions, nous partageons l’avis d’Anne Stévignon, qui considère que les sanctions auraient pu être plus conséquentes (29).

Au-delà des mécanismes de reporting tels que ceux instaurés par la CSRD qui prévoient des obligations essentiellement formelles, nous pensons que la mise en place d’obligations substantielles de vigilance en matière climatique via la CSDDD est  un outil plus intéressant pour lutter contre l’impunité des entreprises en la matière et les obliger à réduire leurs émissions de GES. En effet, si l’obligation de dire est importante, elle n’a de sens que si elle s’accompagne d’une obligation de faire et de mise en œuvre des mesures annoncées ou nécessaires pour que l’entreprise fasse sa part dans le maintien de la température à 1,5 °C.

Dans le but d’assurer des sanctions efficaces et dissuasives, nous estimons que le législateur français devra s’assurer lors de la transposition de la CSDDD que :

  • les entreprises soient contraintes de se conformer  à des obligations claires et précises en matière climatique ;

  • imposer un régime de sanctions adéquates et dissuasives, en prenant en compte le chiffre d’affaire du groupe, comme la CSDDD l’exige ;

  • que le juge civil soit pleinement compétent en matière climatique et doté d’une formation appropriée (cf. propositions ci-dessous). 

  • les manquements à l’obligation de vigilance climatique prévue à l’article 15 de la CSDDD doivent permettre d’engager la responsabilité civile de l’entreprise fautive (afin de ne pas entraîner de régression par rapport à la loi sur le devoir de vigilance).

d. Quelle est l’articulation entre les obligations issues de cette directive et de la loi relative au devoir de vigilance ? 

Nous partageons sur ce point l’avis d’Anne Stévignon dans son article Transposition de la CSRD : les derniers détails sont désormais fixés

« L’ordonnance opère également une harmonisation du cadre des obligations en matière de RSE, notamment au sein du code de commerce, conformément aux recommandations formulées par le Haut comité juridique de la place de Paris (HCJP) dans un rapport commandé par le ministère de la Justice (rapp. du HCJP sur les dispositifs de transparence extra-financière, sept. 2022). Le rapport au président souligne en effet que le « manque d’articulation entre les différents dispositifs apparaît doublement préjudiciable : d’abord pour les entreprises assujetties, en entrainant un manque de lisibilité, des coûts administratifs importants et une perte d’efficacité économique ; ensuite pour les personnes bénéficiaires de ces dispositifs qui y voient un manque de lisibilité et, in fine, une difficulté à appréhender les risques liés aux dimensions non financières de l’activité de l’entreprise. [...]

Les différents dispositifs de publication d’informations qui visent les sociétés commerciales sont rassemblés au sein d’un nouveau chapitre intitulé « Des comptes sociaux et des informations en matière de durabilité » qui régit les articles L. 232-1 et suivants du code de commerce. L’ordonnance prévoit notamment que « lorsqu’elles communiquent leur plan de vigilance et rendent compte de sa mise en œuvre, les sociétés peuvent renvoyer aux informations en matière de durabilité prévues par la directive CSRD », ce que l’on peut regretter du point de vue de l’impératif de clarté du plan de vigilance, même si des interactions entre les deux exercices sont appelées à être nombreuses. »

e. La création d’une autorité administrative indépendante chargée de contrôler le respect des obligations de reporting et de vigilance des entreprises, dotée d’un pouvoir d’injonction et de sanction, serait-elle opportune ?

Voir notre réponse à la question g. i. ci-dessus 

3 - La proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937

a. Quelle devrait-être l’articulation entre les obligations futures issues de cette directive et le droit national en vigueur ?

Nous observons que : 

  • la directive contient des obligations plus spécifiques que la loi française. La question du changement climatique est abordée par un article spécial de la directive (art. 15), alors que la loi française ne comporte pas d’obligations spécifiques en la matière ;

  • la directive prévoit l’obligation d’établir et de mettre en œuvre un plan de transition compatible avec l’objectif 1.5°C de l’Accord de Paris et comporte des précisions sur le contenu prescriptif du plan (objectifs de réduction d’émissions de GES assortis de délais, mention explicite des émissions indirectes de scope 3, principales mesures pour atteindre ces objectifs.)

La question de l’articulation entre ces dispositions issues de l’article 15 et celle de la loi française se pose donc, en particulier sur le point de savoir si elles auraient vocation à coexister ou non avec le régime de la loi du 27 mars 2017. A notre sens, les dispositifs ne sont pas contradictoires, bien au contraire. Le devoir de vigilance et l'article 15 semblent donc pouvoir cohabiter parfaitement sans s'exclure mutuellement.

b. La proposition de directive est-elle plus ambitieuse que le droit national en vigueur ? Son dispositif est-il plus opérationnel ? 

La CSDDD semble, à certains égards, plus ambitieuse que la loi française (comme en matière climatique) mais elle s’accompagne également de restrictions et régressions importantes. 

En matière climatique, la CSDDD clarifie les obligations imposées aux entreprises en apportant des précisions sur le contenu prescriptif du plan et tranche certains débats en cours, comme par exemple :

  • le niveau auquel le réchauffement doit être limité, à savoir la limite de 1,5 °C ;

  • ce que l’entreprise doit faire, à savoir « garantir la compatibilité du modèle d’entreprise et la stratégie de l’entreprise avec l’accord de Paris » ;

  • des objectifs de réduction d’émissions de GES assortis de délais ;

  • le calcul et la réduction des émissions indirectes de « scope 3»  ;

  • un plan d’action qui prévoit « une description des leviers de décarbonisation identifiés et des actions clés prévues pour atteindre les objectifs » ;

  • la nécessité de présenter des mesures financières à travers une « une explication et une quantification des investissements et des financements soutenant la mise en œuvre du plan de transition ».

La directive contient en revanche des dispositions potentiellement plus restrictives que la loi française sur d’autres points. A la différence de la loi française, la directive exclut du champ de la responsabilité civile (art. 22) les possibles manquements d’une entreprise à ses obligations en matière de lutte contre le changement climatique, ce qui risque de représenter une régression de grande ampleur. L’article 15 et l’article 22 n’étant pas d’harmonisation maximale, rien n’empêche cependant la France d’être plus ambitieuse et maintenir le standard et les possibilités ouvertes par la loi du 27 mars 2017. 

En outre, la directive ne prévoit qu’un contrôle par l’autorité de l’adoption et de la conception du plan de transition (art. 17 CSDDD). Il est absolument nécessaire d’aller au-delà et d’inclure le contrôle de la mise en œuvre des plans de transition.

Les règles autour de l’accès aux preuves au sein de la CSDDD peuvent contribuer à rééquilibrer l’équité au sein du procès, dans la mesure où les entreprises ont seules accès à certaines informations concernant les risques liés à leurs activités. L’un des enjeux de la transposition de la directive pourrait donc être l’introduction de mécanismes, en droit français, permettant d’accéder de manière effective aux informations détenues par les entreprises, par exemple s’agissant des projets énergétiques qu’elles développent ou toute autre information relative à leurs émissions de gaz à effet de serre. 

Cependant, il existe aussi certains aspects de la CSDDD qui peuvent constituer une régression, comme la non-inclusion du secteur financier dans l’obligation générale de vigilance, bien que celui-ci reste inclus dans le périmètre de l’article 15 de la CSDDD (v. réponse ci-dessous pour plus de détails à cet égard).

c. L’article 15 de la proposition de directive prévoit que les États membres veillent à ce que les plus grandes entreprises « adoptent un plan visant à garantir que le modèle d’entreprise et la stratégie de l’entreprise sont compatibles avec la transition vers une économie durable et avec la limitation du réchauffement planétaire à 1,5 °C conformément à l’accord de Paris. Ce plan détermine notamment, sur la base des informations raisonnablement à la disposition de l’entreprise, dans quelle mesure le changement climatique représente un risque pour les activités de l’entreprise ou une incidence de celles-ci. Les États membres veillent à ce que, dans le cas où le changement climatique est ou aurait dû être considéré comme un risque majeur pour les activités de l’entreprise ou comme une incidence majeure de ces dernières, l’entreprise inclue des objectifs de réduction des émissions dans son plan. » Quelle pourrait-être la portée effective de cette obligation ? Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les investissements dans de nouveaux gisements pétroliers et gaziers sont incompatibles avec l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris Les entreprises pétrolières et gazières européennes devraient-elles donc se voir interdire de mener de tels investissements ?

Notons tout d’abord que le contenu de l’article 15, peu ambitieux dans la proposition de la Commission, a été renforcé au cours des différentes étapes d’examen du texte. Dans sa dernière version issue de l’accord politique trouvé en trilogues et voté par le Conseil le 15 mars dernier, l’article 15 contient les dispositions suivantes (traduction libre de la version anglaise) :

« 1. Les États membres veilleront à ce que les entreprises visées à l'article 2, paragraphe 1, points a), b) et ba), ainsi qu'à l'article 2, paragraphe 2, points a), b) et ba), élaborent et mettent en œuvre un plan de transition pour l'atténuation du changement climatique qui vise à garantir, par tous les moyens nécessaires, que le modèle commercial et la stratégie de l'entreprise sont compatibles avec la transition vers une économie durable et avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C conformément à l'accord de Paris et à l'objectif d'atteindre la neutralité climatique tel qu'établi dans le règlement (UE) 2021/1119, y compris ses objectifs intermédiaires et de neutralité climatique à l'horizon 2050, ainsi que, le cas échéant, l'exposition de l'entreprise aux activités liées au charbon, au pétrole et au gaz.

La conception du plan de transition mentionné au premier alinéa comprendra :

  (a) des objectifs liés au changement climatique pour 2030 et par tranches de cinq ans jusqu'en 2050, fondés sur des preuves scientifiques concluantes et comprenant, le cas échéant, des objectifs de réduction absolue des émissions de gaz à effet de serre pour les émissions de gaz à effet de serre des scopes 1, 2 et 3 pour chaque catégorie significative ;

  (b) une description des leviers de décarbonisation identifiés et des principales actions prévues pour atteindre les objectifs visés au point a), y compris, le cas échéant, les changements dans le portefeuille de produits et services de l'entreprise et l'adoption de nouvelles technologies ;

  (c) une explication et une quantification des investissements et du financement soutenant la mise en œuvre du plan de transition ;

  (d) une description du rôle des organes administratifs, de gestion et de surveillance par rapport au plan.

3. Les entreprises qui présentent un plan de transition pour l'atténuation du changement climatique conformément à l'article 19a, 29a ou 40a, selon le cas, de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil seront réputées avoir respecté l'obligation d'adoption énoncée au paragraphe 1 du présent article. Les entreprises incluses dans le plan de transition pour l'atténuation du changement climatique de leur entreprise mère, tel que rapporté conformément à l'article 29a ou 40a, selon le cas, de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil, seront réputées avoir respecté l'exigence d'adoption énoncée au paragraphe 1 du présent article.

3a. Les États membres veilleront à ce que le plan de transition mentionné au paragraphe 1 soit mis à jour tous les 12 mois et contienne une description des progrès réalisés par l'entreprise pour atteindre les objectifs visés au paragraphe 1, point a) ».

En vertu de ces dispositions, les entreprises devraient être non seulement tenues d’adopter un plan de transition en matière climatique qui soit compatible avec l’objectif 1,5°C de l’Accord de Paris mais aussi de le mettre en œuvre par tous les moyens nécessaires (« through best efforts »). 

Par conséquent, les entreprises pétrolières et gazières européennes pourraient être tenues, en application de ces dispositions, de cesser de mener de tels investissements dans de nouveaux gisements pétroliers et gaziers. La limitation du réchauffement à 1,5 °C ainsi que l’obligation de garantir la compatibilité du modèle d’entreprise et la stratégie de l’entreprise avec l’accord de Paris impliquent nécessairement pour les entreprises fossiles d’abandonner la recherche de nouveaux projets fossiles. Cela est confirmé par l’AIE (30), mais aussi le GIEC (31), ou encore l’exposé des motifs de la loi Hulot :

« Les travaux du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) montrent que l’atteinte de l’objectif de limitation à 2 °C de l’augmentation de la température depuis l’ère préindustrielle suppose de limiter l’exploitation des réserves d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) présentes dans le sous-sol. 80 % des réserves fossiles déjà connues doivent rester dans le sol afin de permettre de respecter la trajectoire de hausse de la température visée par l’Accord de Paris. Dans ce contexte, le fait d’accorder de nouveaux permis d’exploration est incompatible avec l’Accord de Paris. Compte tenu des délais d’exploration et d’exploitation d’une concession d’hydrocarbures, de nouveaux projets engagés aujourd’hui commenceraient leur exploitation dans les années 2020/2030 et produiraient encore du pétrole dans les années 2050/2060, bien au-delà des périodes auxquelles nos émissions devront avoir été réduites ».

Dès lors, les entreprises comme TotalEnergies devraient, pour se conformer à leurs obligations, cesser leurs activités de développement de nouveaux projets pétro-gaziers. 

L’enjeu de la transposition, en droit français, de l’article 15 sera d’assurer une portée effective à travers des obligations renforcées pour les entreprises, notamment sur les mesures à mettre en oeuvre pour assurer la compatibilité de leur stratégie et modèle économique à l’Accord de Paris et les mécanismes de contrôle du respect de ces obligations.  

Notons que la CSRD (d’ores et déjà applicable), le droit commun, le devoir de vigilance ou encore d’autres textes, peuvent être interprétés comme requérant le même comportement.

d. Que pensez-vous de la non-inclusion du secteur financier, un temps envisagé, dans le champ de la proposition de directive ?

Il s’agit d’une régression dans la mesure où la loi du 27 mars 2017 ne fait pas de distinction entre les différents secteurs. Sous l’empire de la loi française, les entreprises du secteur financier disposent d’obligations de vigilance à l’égard de l’amont mais surtout de l’aval de leur chaîne de valeur. C’est un fait qu’elles reconnaissent elles-mêmes puisque, comme indiqué par notre Benchmark, les acteurs financiers acceptent d’intégrer leurs activités aval (c’est-à-dire les activités de financement et d’investissement) au sein de leurs plan de vigilance, y compris vis-à-vis du climat  : « S’agissant des entreprises du secteur financier, bien qu’elles refusent de chiffrer leurs émissions de scope 3, elles affichent tout de même des objectifs de réduction en appliquant des mesures d'atténuation climatique à leurs activités de financement et d’investissement au sein de leurs PV ».

e. Quelles évolutions du texte la France pourrait-elle défendre afin de s’assurer de l’effectivité des obligations imposées aux entreprises ? Quelles sont les marges de manœuvre du législateur national pour appliquer des mesures plus ambitieuses que la proposition de directive ? 

La CSDDD est une directive d’harmonisation minimale qui inclut une clause d’harmonisation maximale. Cette dernière (art. 3a) concerne seulement le contenu de l’obligation de vigilance, c’est-à-dire les articles 6.1, 6.1a, 7.1 et 8.1. La clause d’harmonisation oblige en principe les Etats membres d’établir des obligations harmonisées sur le devoir de vigilance, étant précisé toutefois que le second alinéa de l’art 3 CSDDD autorise des niveaux de protection plus élevées à l’échelle nationale (32). 

Cela est sans préjudice de la clause de non-régression (art. 1.2) prévue par la directive, laquelle interdit aux Etats membres de réduire le niveau de protection des droits humains, de l’environnement ou du climat existant en droit français dans la cadre de la transposition de la nouvelle directive. En dehors des dispositions d'harmonisation maximale, la France, lors de la transposition, pourra aller plus loin que ce qui est prévu dans la directive afin (i) d’assurer davantage de protection aux droits humains et à l’environnement si le législateur le souhaite et (ii) pour ne pas entraîner de régression par rapport aux protections existantes, résultant notamment de la loi sur le devoir de vigilance. Ce mécanisme d’harmonisation minimale a été pensé pour les Etats membres qui auraient déjà des législations protectrices. Dans ce cas, ils peuvent fixer des normes plus exigeantes que ce que prévoit la directive ou des dispositions plus spécifiques quant à l’objectif poursuivi ou le domaine concerné. 

Il nous semble hautement probable que les évolutions suivantes constitueraient des «régressions» du niveau de protection existant, ouvrant la voie à une contestation devant les juridictions compétentes :

  • la restriction du périmètre matériel de la loi. En effet, alors que la loi française s’applique aux atteintes graves aux droits humains et aux libertés fondamentales, à l’environnement, et à la santé et à la sécurité des personnes, la directive renvoie à une liste en annexe pour définir ce que constitue ou pas une « incidence négative » sur l’environnement ou les droits humains. Cette approche par liste est parcellaire et comprend des lacunes (par exemple en matière de pollution des sols et de l’air). 

  • l’exclusion des activités « aval » du secteur financier, du champ d’application de l’obligation générale de vigilance.

  • l’exclusion d’autres activités « aval », notamment de distribution ou de transport, du champ de l’obligation générale de vigilance. Une telle évolution, alors même que La Poste vient de faire l’objet d’une condamnation concernant de telles activités, constituerait nécessairement une régression par rapport au droit interne en vigueur.

En matière climatique, le législateur pourrait s’assurer lors de la transposition que : 

  • la justice puisse être saisie par toute personne ayant intérêt à agir, pour contrôler le respect par une entreprise de ses obligations d’adoption et de mise en œuvre effective d’un plan de transition. En effet, à la différence de la loi française, la directive exclut du champ de la responsabilité civile (art. 22) les possibles manquements d’une entreprise à ses obligations en matière de lutte contre le changement climatique. Seule une supervision (qui ne couvre pas la mise en œuvre du plan de transition) par une autorité de contrôle est prévue par la directive (art. 17). Ces articles n’étant que d’harmonisation minimale, il est possible lors de la transposition d’affirmer explicitement un contrôle du juge sur la mise en œuvre, notamment en matière d’injonction.

  • les entreprises doivent réduire d’environ 50% les émissions à l’horizon 2030 par rapport à une année de référence ; et mettre en place un objectif appropriés en 2035 et 2040 reflétant la nécessité d’atteindre la neutralité carbone en 2050 ;

  • la recherche de nouveaux gisements d’hydrocarbures soit interdite dans le cadre de la transposition de l’article 15 de la CSDDD ;

f. L’application des obligations contenues dans ce texte à des entreprises extracommunautaires opérant dans l’Union européenne pourrait-elle être de nature à poser des difficultés tant diplomatiques que juridiques ?

Dans les situations suivantes la loi s’appliquera à des entreprises étrangères :

  • A des filiales, sous-traitants ou fournisseurs étrangers de sociétés mères ou donneuses d’ordre établies en UE ;

  • A des grandes filiales établies dans l’UE, mais dont la société mère se situe à l’étranger ;

Malgré le lien d’extranéité, la base de compétence est incontestable en droit international privé et ne peut souffrir d’aucune contestation étant donné que les sociétés mères ou donneuses d’ordres réglementées par le devoir de vigilance ou la CSDDD sont domiciliées dans les territoires de la France et/ou de l’UE (33), d’autant plus que la loi n’a pas vocation à être utilisée abusivement ou à mauvais escient dans un but de contrevenir à la souveraineté d’un État tiers. En effet, la loi vise la protection des droits humains et de l’environnement, des objectifs qui sont universellement partagés (cf. Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, Principes issus de la Conférence Internationale de Stockholm sur l’environnement de 1972 etc).

Ainsi, bien que la matérialisation de l’hypothèse envisagée dans la question (cf. difficultés tant diplomatiques que juridiques) ne puisse être exclue en pratique, elle ne peut pas pour autant constituer une raison pour exclure la loi à ces entreprises ; étant donné qu’il s’agit de l’objectif même de la CSDDD.

Par ailleurs, de nombreuses réglementations européennes ayant un champ d’application extraterritorial ont déjà été adoptées dans l’UE. C’est le cas par exemple du Règlement général sur la protection des données (RGPD) (34) dont l’article 3 prévoit qu’il est applicable au traitement des données personnelles, « que le traitement ait lieu ou non dans l'Union ». De même, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) (35) visant à limiter les « fuites de carbone », s’applique à certaines marchandises issues de pays tiers.

4 - La normativité des dispositions issues de l’Accord de Paris de 2015

a. Les obligations découlant de l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, issu de l’Accord de Paris de 2015, vous paraissent-elles suffisamment normatives pour le secteur de l’énergie et, singulièrement, celui de la production d’hydrocarbures ? La France et le groupe TotalEnergies ont-ils opté pour un droit souple ou dur ?

L’accord de Paris n’impose pas d’obligation de neutralité carbone en 2050, mais à « parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle » (36).

Il fixe aussi l’objectif de poursuivre « l’action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques; ». Cet objectif implique, selon les résultats principaux du GIEC, d’atteindre la neutralité carbone à l’échelle mondiale autour de 2050.

Au-delà de la question de droit public relative au caractère contraignant de l’accord de Paris, ce dernier permet avant tout d’offrir un standard d’interprétation aux juges, comme de nombreux jugements l’affirment, dont celui de la CEDH dans Klimaseniorinnen. En matière de contentieux contre les entreprises, il a été mobilisé dans l’affaire Milieudefensie c. Shell sans pour autant être appliqué comme une norme dont découleraient directement des obligations pour les entreprises (37).  L’accord de Paris a donc permis de nombreux progrès et offre, au-delà du contentieux, une base utile à la coopération internationale. Quoi qu’il en soit, il semble indéniable qu’il doive être renforcé, une opinion largement partagée au sein de la littérature juridique et extra-juridique (38).

S’agissant de TotalEnergies, l’entreprise semble s’opposer à l’adoption de normes de droit dur négocié à l’échelle internationale. De fait, il est démontré dans certains papiers scientifiques soumis à des comités de lecture que l’entreprise a mené des actions d’influence anti-climatiques par le passé (39); certains rapports récents ont également épinglé l’entreprise en ce sens (40).

b. Existe-t-il un risque de judiciarisation des activités des producteurs d’hydrocarbures au regard de l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 ? La France et le groupe TotalEnergies sont-ils particulièrement concernés par ce risque ?

Oui ce risque s’est déjà matérialisé pour : 

  • TotalEnergies et BNP Paribas avec les contentieux : 

    • Notre Affaire A Tous, Sherpa et autres contre TotalEnergies (fondements juridiques : devoir de vigilance, préjudice écologique)

    • Greenpeace France, les Amis de la Terre France, Notre affaire à tous contre TotalEnergies (fondements juridiques : pratiques commerciales trompeuses)

    • Notre Affaire A Tous, les Amis de la Terre France, Oxfam France contre BNP Paribas (fondements juridiques : devoir de vigilance, préjudice écologique, engagement unilatéral de volonté, quasi-contrat)

  • La France avec les contentieux : 

Les manquements de la France, de l’UE et de TotalEnergies risquent d’entraîner des actions supplémentaires, d’autant plus au regard du développement du droit positif, dont le développement contredit frontalement les activités de TotalEnergies et d’autres acteurs privés (cf. obligations de la CSRD+CSDDD, loi Hulot et l’objectif de neutralité carbone de la France), mais aussi certains agissements de l’Etat (jugement CEDH Klimaseniorinnen).

c. Le retrait des États parties au traité sur la Charte de l’énergie (TCE) vous paraît-il nécessaire pour permettre à ces États de conduire plus aisément leurs politiques de décarbonation, conformément à l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 ? Identifiez-vous un risque de contentieux entre ces États et les producteurs d’hydrocarbures, qu’il s’agisse de l’application du traité ou des éventuels retraits de ces États ? 

Les Etats de l’UE se sont retirés du traité récemment en raison des risques juridiques pesant sur ces derniers, comme le contentieux RWE c. Pays-Bas le démontre.  Le retrait des Etats de ce traité peut faire amoindrir les risques juridiques et financiers des Etats pour l’avenir, mais pas pour les faits antérieurs s’étant déroulés antérieurement à la dénonciation du traité. De surcroît, bien d’autres traités de protection de l’investissement sont applicables non seulement en Europe, mais dans le monde entier (des chercheurs ont recensé plus de 2000 traités dans le monde (41)). Dès lors, les entreprises continueront certainement de réclamer des dommages et intérêts à partir du moment où de nouvelles lois, réglementations ou décisions de justice requièrent une transition rapide et effective. 

Face aux actions en justice des entreprises devant des tribunaux d’arbitrage relatifs à la protection des investissements, les Etats peuvent faire valoir que :

  • les entreprises étaient tout aussi bien informées que les Etats en ce qui concerne les risques liés à la transition et les mesures qui s’imposent, dans la mesure où la science climatique était publique, en particulier les rapports du GIEC ; 

  • les conventions climatiques internationales (CCNUCC et Accord de Paris) ont confirmé le besoin de réduire les émissions de GES ;

  • une raison de l’inaction de certains Etats est notamment liée à la pression et au lobby de certaines entreprises, comme cela est démontré dans la littérature scientifique et discuté par le GIEC (42).

De plus, une façon d’amoindrir le risque de contentieux contre les Etats est de :

  • Légiférer, réglementer le plus rapidement possible afin d’éviter des atteintes disproportionnées aux libertés individuelles et entrepreneuriales, en octroyant un temps de planification et une gradation proportionnée des contraintes (cf. décision de la Cour constitutionnelle allemande relative à la loi de la protection du climat, obligeant l’Etat Allemand à renforcer la loi afin d'être plus protectrice des libertés individuelles et économiques (43)) ;

  • Subventionner en partie certains coûts liés à la transition afin d’accompagner les entreprises dans leur transition, comme c’est le cas en Allemagne avec la loi sur la cessation de l’exploitation du charbon, qui prévoit certaines compensations si et seulement si les mines sont clôturées à temps et de manière respectueuse des droits des salariés et de l’environnement. Notons que les USA (Inflation Reduction Act) et l’UE (dont la France) subventionnent aussi certains projets de transition climatique.

5 - L’écoblanchiment

a. Les dispositions légales en vigueur vous paraissent-elles suffisantes pour lutter contre l’écoblanchiment (greenwashing) ?

Les dispositions en vigueur permettent de rechercher la responsabilité des entreprises en cas d’écoblanchiment dans la mesure où des normes générales telles que les pratiques commerciales trompeuses (44), le règlement de l’AMF (45) interdisent certaines allégations ; si elles sont susceptibles d’induire le consommateur ou l’investisseur en erreur.  

Face à la nécessité de préciser les pratiques commerciales trompeuses en matière climatique, la Commission européenne a publié le 22 mars 2023 une proposition de directive sur les allégations écologiques (green claims (46)), dont un des objectifs est de « traiter de manière plus transparente les allégations qui concernent le climat» (47). Cette proposition « prévoit des exigences minimales en matière de justification et de communication des allégations environnementales qui font l’objet d’une vérification par un tiers avant d’être utilisées dans les communications commerciales» (48). Le Parlement européen a adopté sa position sur cette directive en session plénière le 12 mars dernier. Le processus législatif se poursuit désormais avec les trilogues.

b. Quelles dispositions complémentaires pourraient être prises afin d’empêcher certaines entreprises d’avoir des pratiques commerciales et des stratégies de communication qui relèvent de l’écoblanchiment ?

Il serait bénéfique que les pratiques commerciales trompeuses soient précisées en matière climatique afin d’obliger les opérateurs économiques à suivre un certain niveau d’ambition minimal lorsqu’ils expriment une ambition générale de l’entreprise, à l’image des contraintes imposées par l’art 12 de la loi Climat et Résilience en ce qui concerne les allégations liées aux produits et services (49).

Ainsi, si une entreprise déclare un engagement général de neutralité carbone 2050, les mesures suivantes devraient être mises en œuvre (en s’appuyant notamment sur le comité d’expert onusien HLEG) :

  • Une réduction des émission d’environ 50% à l’horizon 2030 par rapport à une année de référence appropriée (sur les scopes 1, 2 et 3) ;

  • La priorisation des mesures de réductions d’émissions par rapport aux mesures de compensation ;

  • La cessation de nouveaux projets d’hydrocarbures et la réduction graduelle de la production ;

6 - Les évolutions envisageables

a. Quelles mesures législatives et réglementaires l’État français pourrait-il prendre afin de mieux réguler les entreprises multinationales, et notamment l’impact de leur activité sur l’environnement (climat et biodiversité) et les droits humains ?

Selon nous, il est urgent et nécessaire d’opérationnaliser le principe de responsabilité pour : 

  • Répondre aux besoins d’atténuation climatique (cf. réduction des émissions de GES) en : 

    • instaurant des obligations climatiques conformes à l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C qui soient les plus précises et ambitieuses possibles ; 

    • « extra-territorialisant » la loi Hulot, c’est-à-dire en interdisant aux entreprises françaises la recherche et le développement de nouveaux projets  à l’étranger ;

    • créant une autorité publique indépendante chargée du suivi des entreprises, de leur évaluation, ainsi que du contrôle ;

    • s’assurant que la justice soit pleinement et rapidement compétente, en garantissant une formation adéquate des juges en matière climatique et environnementale ;

  • Répondre aux enjeux d’adaptation et de pertes et préjudices (loss and damage) en créant une contribution obligatoire de la part des entreprises à des fonds spécialement affectés à l’indemnisation et à l’adaptation au réchauffement climatique ;

    • Ces contributions obligatoires renforceraient le “signal prix” en ce qui concerne la non-rentabilité des activités carbonées ;

    • Les autorités publiques pourraient obliger les entreprises historiquement responsables du réchauffement à contribuer de manière plus significative à ces fonds sur la base de certains critères :

      • Connaissance précoce du réchauffement climatique ;

      • Inaction historique (comme par ex. le manque de développement d’alternatives décarbonées, comme les énergies renouvelables etc) ;

      • Absence d’alerte ;

      • Lobbying anti-climat ;

b. Parmi ces préconisations, que pensez-vous de :

i. Limiter le soutien public ou technique accordé par l’État aux projets de d’extraction ou de production d’hydrocarbures, dans le cadre de la future loi de programmation de l’énergie, prévue en application de l’article L. 100-1 A du code de l’énergie, ou de la future programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ;

Il ne faut pas limiter le soutien public ou technique, mais l’interdire à notre sens. 

ii. Consolider le bilan carbone et le plan de transition, mentionnés à l’article L. 229-5 du code de l’environnement, applicables aux producteurs d’hydrocarbures ;

Oui, il s’agit d’une obligation existante également au sein d’autres textes à nos yeux (DV, CSRD, CSDDD etc). 

iii. Mieux encadrer les hydrocarbures, en complétant les missions d’évaluation du Haut-Conseil pour le climat (HCC) ou de régulation de la CRE ;

Oui cela fait partie de nos préconisations (voir ci-dessus). 

iv. Créer une autorité auditant les trajectoires d’atteinte de la neutralité carbone des entreprises, et/ou auditant la méthodologie de leur bilan carbone, ou octroyer à une autorité existante de cette mission ;

Oui cela fait partie de nos préconisations (voir ci-dessus). 

v. Renforcer les sanctions actuelles pour diffusion d’informations ne traduisant pas les réels efforts d’une entreprise pour le climat ;

Oui cela fait partie de nos préconisations (voir ci-dessus). 

vi. Consolider l’information et le contrôle parlementaires en matière d’hydrocarbures, notamment dans le cadre du budget vert annexé à la loi de finances initiale ;

Oui ; cependant, nous ne disposons pas d’expertise particulière à cet égard. 

vii. Renforcer le cadre européen prévu en matière d’investissements durables ?

Oui. Cependant, nous ne disposons pas d’expertise particulière à cet égard. 


Notes : 
(1)  À titre liminaire, les auteurs de ce document souhaitent remercier Théa Bounfour (juriste à l’association Sherpa), Marcellin Jehl (juriste à l’association Les Amis de la Terre France) et Mathilde Cohen (juriste à l’association Notre Affaire à Tous) pour leur relectures et commentaires respectifs.
(2) À titre d’exemple, TotalEnergies a débuté en République du Congo, la réalisation d’une “plantation d’une nouvelle forêt de 40 000 hectares [qui] devrait constituer un puits de carbone estimé à plus de 10 millions de tonnes de CO2 séquestrées sur 20 ans” (p. 80 DEU respectif publié en 2023); Air France indique que : “Depuis le 1er janvier 2020, Air France compense de façon proactive de 100% des émissions de CO2 de ses vols intérieurs.” (p. 216 DEU publié respectif en 2023), ADP affirme que le “Groupe ADP s’est engagé à la neutralité carbone avec compensation en 2030 sur ses plateformes parisiennes.” (p. 189 DEU respectif publié en 2023), ArcelorMittal identifie dès à présent la nécessité de compensations : “Pour ces émissions résiduelles - que nous estimons aujourd'hui à moins de 5 % des émissions totales - ArcelorMittal achètera des compensations de haute qualité ou lancera des projets pour générer des crédits carbone de haute qualité qui n'auraient pas eu lieu sans l'intervention de l’entreprise.” (Climate Action Report 2, p 12, respectif publié en 2023), Veolia précise que : “Le Groupe mène des opérations de compensation par des projets permettant d’émettre des crédits carbone (ex. : valorisation du biogaz des centres de stockage de déchet en Amérique latine)” (p. 219 DEU respectif publié en 2023), Stellantis-PSA indique prévoir de mettre en place “une compensation à un chiffre des émissions résiduelles, d'ici à 2038.” (PDV, p. 17 rapport annuel respectif publié en 2023).
(3) Oxfam France, Les banques françaises nous emmènent vers un monde à 4°C, oct. 2020, 37 p., https://www.oxfamfrance.org/rapports/banques-des-engagements-climat-a-prendre-au-4eme-degre/

(4) C’est la raison pour laquelle il est douteux de faire reposer les changements nécessaires à l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris sur les seuls efforts des individus. Des changements structurels sont attendus mais ils sont du ressort des États et des larges opérateurs économiques. Voir en ce sens l’étude de Carbone 4 : C. Dugast et A. Soyeux, Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’Etat face à l’urgence climatique, 2019, https://www.carbone4.com/publication-faire-sa-part.

(5)  J. SETZER and C. HIGHAM, Global Trends in Climate Change Litigation: 2023 Snapshot. London: Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment and Centre for Climate Change Economics and Policy, London School of Economics and Political Science, 2023, p. 4 : « Climate change litigation continues to have significant impacts on climate governance: An assessment of direct judicial outcomes in climate change cases indicates that more than 50% of the 549 cases in which either an interim or final decision has so far been rendered have outcomes favourable to climate action ».

(6) Aux USA, dans le contentieux Massachusetts c EPA, la Cour Suprême des Etats-Unis a indiqué en 2007 que le Clean Air Act oblige l’agence de protection de l’environnement (EPA) à réguler les émissions de GES (Massachusetts et al v EPA, 549 U. S. 497 (2007)).

(7) De tels jugements ont notamment été rendus en France mais aussi en Grande-Bretagne, et en Belgique  V. l’affaire du siècle et Grande-Synthe ; High Court of London, Friends of the Earth, Client Earth, Good Law Project v Secretary of State for Business, Energy, and Industrial Strategy, [2022] EWHC 1841 (Admin), 18 July 2022; Cour d’appel de Bruxelles, Klimatzaak, 2021/AR/1589, 2022/AR/737 et 2022/AR/891, 30 November 2023.

(8) Voir décision de la Cour constitutionnelle allemande dans l’affaire relative à la loi allemande de protection du climat (Arrêt du 24 mars 2021 - 1 BvR 2656/18, 1 BvR 78/20, 1 BvR 96/20).

(9) L’exemple le plus connu est celui d’Urgenda en 2015/19, qui a permis de rehausser l’objectif 2020 des Pays-Bas d’une dizaine de points de pourcentage (de 13 à 25% par rapport à 1990).

(10) J. Setzer et C. Higham, Global Trends in Climate Change Litigation: 2023 Snapshot, Grantham Research Institute, 2023, p. 3, 5. V. aussi « Direct and indirect impacts of the Urgenda case », C. Higham, J. Setzer et E. Bradeen, Challenging government responses to climate change through framework litigation, 2022, Grantham Research Institute, p. 16.

(11) M. SATO, G. GOSTLOW, C. HIGHAM, J. SETZER, F. VENMANS, Impacts of climate litigation on firm value, Centre for Climate Change Economics and Policy Working Paper 421/Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment, Working Paper 397, 2023, London: London School of Economics and Political Science, https://www.lse.ac.uk/granthaminstitute/publication/impacts-of-climate-litigation-on-firm-value/#:~:text=They%20show%20that%20climate%20litigation,cases%20involving%20novel%20legal%20arguments.

(12) TotalEnergies, Document d'Enregistrement Universel 2023, p. 132.

(13) Voir, par exemple, Shell, 2023 Annual Report and Accounts, p. 81 ; TotalEnergies, Document d'Enregistrement Universel 2023, p. 133

(14)  B. LANIYAN, “Les enseignements de la décision La Poste en matière de vigilance environnementale, 2024 https://www.actu-environnement.com/ae/news/decision-la-poste-devoir-vigilance-apports-jurisprudence-43552.php4

(15) Pour des opinions complémentaires à ce sujet, v. A.DANIS-FATOME, La sanction de la vigilance par la responsabilité civile, JCP E n° 31635, 3 août 2023, 1244 (« Cette responsabilité civile [de l’article L. 225-102-4 II] a donc une fonction préventive et une fonction réparatrice. Cette responsabilité est-elle spéciale ? Nous ne le pensons pas. C’est une responsabilité de droit commun »). V. aussi Anne Danis-Fatôme et Nicolas Hoffschir, La loi sur le devoir de vigilance rendue ineffective par le juge, Revue des sociétés 2023 p.793 : « les textes issus de la loi du 27 mars 2017 relatifs au devoir de vigilance ont certes été placés dans le code de commerce mais ils se contentent de définir les obligations pesant sur les épaules des entreprises assujetties et de renvoyer au droit commun quant aux sanctions » en ajoutant que « le renvoi au droit commun est implicite à l’article L. 2252- 102-4 du Code de commerce ».

(16)  CEDH, Klimaseniorinnen, Communiqué de Presse, CEDH 087 (2024), 09.04.2024, p. 6: “Article 46 (force obligatoire et exécution des arrêts) - [...] En l’espèce, eu égard à la complexité et à la nature des questions en jeu, la Cour constate qu’elle ne saurait se montrer précise ou prescriptive quant aux mesures à mettre en œuvre pour se conformer de manière effective au présent arrêt.” V. aussi, pour plus de détails, les paragraphes 411 à 413 du jugement intégral, notamment le § 412: “412. Une intervention juridictionnelle, y compris de la Cour, ne peut remplacer les mesures qui doivent être prises par les pouvoirs législatif et exécutif, ou fournir un substitut à celles-ci. Toutefois, la démocratie ne saurait être réduite à la volonté majoritaire des électeurs et des élus, au mépris des exigences de l’État de droit. La compétence des juridictions internes et de la Cour est donc complémentaire à ces processus démocratiques. La tâche du pouvoir judiciaire consiste à assurer le nécessaire contrôle de la conformité avec les exigences légales.”

(17)  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements_alt/3875/CSLDCRRE/1527

(18) Gesetz über die unternehmerischen Sorgfaltspflichten in Lieferketten, 16 Juli 2021, Bundesgesetzblatt Jahrgang 2021 Teil I Nr. 46, ausgegeben zu Bonn am 22. Juli 2021.

(19) Article 11 de ladite loi allemande.

(20) Article 13 à 20 de ladite loi allemande.

(21)  CA Versailles, 30 avril 2004, 3ème ch., n° 02/05924, UCB Pharma c/ Ingrid Criou et n° 02/05/925, UCB Pharma c/ Nathalie Bobet

(22) “Come hell or high water”: addressing the risks of climate and environment-related litigation for the banking sector (europa.eu)

(23) https://www.asso-sherpa.org/wp-content/uploads/2021/05/2021.04-Note-Autorite%CC%81-de-Contro%CC%82le-DV.pdf

(24) Ibid.

(25) Ibid.

(26) Ibid.

(27) https://www.asso-sherpa.org/wp-content/uploads/2021/05/2021.04-Note-Autorite%CC%81-de-Contro%CC%82le-DV.pdf, p. 6

(28) Commission européenne, Proposition de directive modifiant les directives 2013/34/UE, 2004/109/CE et 2006/43/CE ainsi que le règlement (UE) nº 537/2014 en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, 21.4.2021, COM(2021) 189 final 2021/0104(COD), p. 1.

(29)  A. STÉVIGNON, Transposition de la CSRD : les derniers détails sont désormais fixés - Affaires | Dalloz Actualité (dalloz-actualite.fr) : « La CSRD exigeait que les sanctions – applicables tant aux entreprises qu’aux professionnels qui certifient les rapports – soient « effectives, proportionnées et dissuasives », laissant une importante marge de manœuvre aux États membres en la matière. L’ordonnance prévoit ainsi plusieurs types de sanctions. Les sociétés qui ne satisfont pas à leur obligation de publier un rapport de durabilité encourent l’exclusion des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession (CCP, art. L. 2141-7-1 et L. 3123-7-1, mod. par l’art. 27 de l’ord.). Ce dispositif existait déjà pour les sociétés soumises à la loi relative au devoir de vigilance du 27 mars 2017 depuis la loi Climat et résilience du 22 août 2021, il est étendu à l’absence de publication d’informations de durabilité. La commande publique participe ainsi « à l’atteinte des objectifs de développement durable » (CCP, art. L. 3.1). La règle sera applicable aux marchés publics et aux contrats de concession pour lesquels une consultation est engagée ou un avis de publicité est émis à compter du 1er janvier 2026. De surcroît, l’article L. 238-1 révisé du code de commerce permet à toute personne de demander en référé d’enjoindre sous astreinte soit la production, la communication ou la transmission des documents ou informations en matière de durabilité, soit la désignation d’un mandataire chargé de procéder à cette communication (Ord., art. 10). Le législateur a eu l’ambition d’« unifier et d’harmoniser ce dispositif concernant les obligations de reporting RSE et d’en renforcer l’effectivité en l’ouvrant à "toute personne" » (Rapport au président de la République). Comme une commentatrice l’a souligné, « la question peut se poser de savoir si une simple "injonction de publication" prévue par le code de commerce constitue une sanction "effective, proportionnée et dissuasive" au sens du droit européen » (M. Tirel, RSE et droit des sociétés, Dr. sociétés, 2024, n°1, comm. 13, p. 34 à 36). Enfin, le fait de ne pas faire auditer les informations de durabilité est passible d’une amende de 30 000 € et de deux ans d’emprisonnement et en cas d’entrave à l’audit, les peines peuvent atteindre jusqu’à 75 000 € et cinq ans de prison, comme le prévoit l’article L. 821-6 du code de commerce modifié par l’article 15 de l’ordonnance. »

(30) AIE, Net Zero Roadmap: A Global Pathway to Keep the 1.5 °C Goal in Reach. 2023 Update, p. 16, 156, 163 ,https://www.iea.org/reports/net-zero-roadmap-a-global-pathway-to-keep-the-15-0c-goal-in-reach.

(31) IPCC, AR6, WG III, TS, p. 90, Box TS.8: “Continuing to build new coal-fired power plants and other fossil infrastructure will increase future transition costs and may jeopardise efforts to limit warming to 2°C (>67%) or 1.5°C with no or limited overshoot.”

(32)  Art 3 al 2 CSDDD (traduction libre) : “Nonobstant le paragraphe 1, la présente directive ne fait pas obstacle à ce que les États membres introduisent dans leur droit national des dispositions plus strictes, s'écartant de celles prévues par les articles autres que l'article 6, paragraphes 1 et 1 bis, l'article 7, paragraphe 1, et l'article 8, paragraphe 1, ou des dispositions plus spécifiques quant à l'objectif ou au domaine couvert, afin d'atteindre un niveau différent de protection des droits de l'homme, de l'emploi et des droits sociaux, de l'environnement ou du climat.”

(33) Règlement Bruxelles I - 1215/2012 - EN - EUR-Lex (europa.eu) : “Article 4 1.   Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. 2.   Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l’État membre dans lequel elles sont domiciliées sont soumises aux règles de compétence applicables aux ressortissants de cet État membre.

(34) Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE.

(35) Règlement (UE) 2023/956 du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

(36) Cette citation est tirée de l’article 4 al. 1 de l’accord de Paris, qui dispose : « 1. En vue d'atteindre l'objectif de température à long terme énoncé à l'article 2, les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais, étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement Parties, et à opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l'équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté. »

(37) Le Tribunal de la Haye, dans son jugement du 26 mai 2021 a condamné l’entreprise Shell à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 45% d’ici 2030 par rapport à 2019, conformément à l’accord de Paris.

(38) V. par exemple Maljean-Dubois Sandrine, Climate change litigation. Max Planck Encyclopedia of Procedural Law, 2019, § 14. https://shs.hal.science/halshs-02281274 : ““(almost) everyone now deem[s] the content of the Agreement to be insufficient but in any event both fragile and better than nothing””.

(39) C. BONNEUIL, P-L CHOQUET, B. FRANTA, Early warnings and emerging accountability: Total’s responses to global warming, 1971–2021, Global Environmental Change, 2021.

(40) InfluenceMap Big Oil’s Real Agenda on Climate Change : “This research finds that, in the three years following the Paris Agreement, the five largest publicly-traded oil and gas majors (ExxonMobil, Royal Dutch Shell, Chevron, BP and Total) have invested over $1Bn of shareholder funds on misleading climate-related branding and lobbying. These efforts are overwhelmingly in conflict with the goals of this landmark global climate accord and designed to maintain the social and legal license to operate and expand fossil fuel operations.”.

(41) https://investmentpolicy.unctad.org/international-investment-agreements

(42)  IPCC; AR 6, WG III, Chapter 5, p. 84: “A good number of corporate agents have attempted to derail climate change mitigation by targeted lobbying and doubt-inducing media strategies (Oreskes and Conway 2011). A number of corporations that are involved in the supply chain of both upstream and downstream of fossil fuel companies, make up the majority of organizations opposed to climate action (Dunlap and McCright 2015; Cory et al. 2021; Brulle 2019). Corporate advertisement and brand building strategies also attempt to deflect corporate responsibility to individuals, and/or to appropriate climate care sentiments in their own brand building; climate change mitigation is uniquely framed through choice of products and consumption, avoiding the notion of the political collective action sphere (Doyle 2011; Doyle et al. 2019)”. V. aussi, s’agissant de TotalEnergies:C. BONNEUIL, P-L CHOQUET, B. FRANTA, Early warnings and emerging accountability: Total’s responses to global warming, 1971–2021, Global Environmental Change, 2021.

(43)  Bundesverfassungsgericht - Homepage - Succès partiel des recours constitutionnels dirigés contre la loi relative à la protection du climat : « L’objectif constitutionnel, consacré à l’article 20a LF, de protéger le climat a été concrétisé par la loi contestée qui exige que l’augmentation de la température moyenne de la planète soit, conformément aux objectifs de l’accord de Paris, contenue nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de préférence en dessous de 1,5 °C. Afin d’y parvenir, il faudra qu’après 2030 les réductions nécessaires d’émissions interviennent de manière de plus en plus urgente et à brève échéance. Ces obligations futures de réduire les émissions concernent pratiquement et potentiellement toute forme de liberté, étant donné qu’actuellement presque toutes les activités humaines génèrent encore des émissions de gaz à effet de serre et sont dès lors menacées de se voir imposer des restrictions sévères après 2030. Par conséquent, le législateur aurait dû prendre des mesures de précaution destinées à préserver la liberté protégée par les droits fondamentaux et à atténuer ces charges considérables. Pour y parvenir, il est nécessaire de réaliser à temps le passage vers la neutralité climatique. Les dispositions relatives à l’ajustement de la trajectoire de réduction des émissions des gaz à effet de serre à compter de l’année 2031 ne suffisent toutefois pas à cette fin. Le législateur est tenu, d’ici le 31 décembre 2022, de régler plus précisément l’ajustement des objectifs de réduction des émissions pour la période postérieure à 2030. »

(44)  L’article L. 121-1 du code de la consommation dispose : « Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service […]. » Les pratiques commerciales trompeuses par action sont définies comme suit par l’article L. 121-2 du code de la consommation (article 6 de la Directive 2005/29) : « Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes : […] 2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants : e) La portée des engagements de l’annonceur, notamment en matière environnementale […]. » 

Les orientations de la Commission européenne indiquent que : « les allégations écologiques doivent être véridiques, ne pas contenir d’informations fausses et être présentées de manière claire, spécifique, exacte et dénuée d’ambiguïté, afin de ne pas induire en erreur les consommateurs ». « L’évaluation d’une allégation environnementale tient compte des impacts environnementaux les plus importants du produit pendant son cycle de vie, y compris sa chaîne d’approvisionnement ».

(45) L’article 223-1 du règlement de l’AMF prévoit que « L'information donnée au public par l'émetteur doit être exacte, précise et sincère. »

(46) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil  relative à la justification et à la communication des allégations environnementales explicites (directive sur les allégations écologiques) COM/2023/166 final

(47) Ibid.

(48) Ibid.

(49)  L’article 12 de la loi climat et résilience interdit d’affirmer qu’un produit ou un service est neutre en carbone si les émissions de GES ne sont pas prioritairement évitées ou réduites : « Le chapitre IX du titre II du livre II du code de l'environnement est complété par une section 9 ainsi rédigée : « Section 9 « Allégations environnementales « Art. L. 229-68.-I.-Il est interdit d'affirmer dans une publicité qu'un produit ou un service est neutre en carbone ou d'employer toute formulation de signification ou de portée équivalente, à moins que l'annonceur rende aisément disponible au public les éléments suivants : « 1° Un bilan d'émissions de gaz à effet de serre intégrant les émissions directes et indirectes du produit ou du service ; « 2° La démarche grâce à laquelle les émissions de gaz à effet de serre du produit ou du service sont prioritairement évitées, puis réduites et enfin compensées. La trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre est décrite à l'aide d'objectifs de progrès annuels quantifiés ; « 3° Les modalités de compensation des émissions de gaz à effet de serre résiduelles respectant des standards minimaux définis par décret. « II.-Un décret fixe les modalités de mise en œuvre du présent article. « Art. L. 229-69.-Dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, l'autorité administrative peut sanctionner le non-respect de l'interdiction et le manquement aux obligations prévues à la présente section par une amende de 20 000 € pour une personne physique et de 100 000 € pour une personne morale, ces montants pouvant être portés jusqu'à la totalité du montant des dépenses consacrées à l'opération illégale. »


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